Faut pas faire trop long qu’il disait, les gens n’ont plus le temps de lire, surtout sur les écrans, et puis faut leur mâcher le travail, phrases courtes, sujet verbe complément à tout casser, et puis des sujets qui intéressent « tout le monde », des trucs un peu croustillants, sulfureux, contemporains au minimum, dans l’air du temps quoi, provocants, transgressifs, polémiques ou je ne sais quoi d’autre, mais je sais pas qui c’est moi « tout le monde », à qui s’adresse-t-on quand on écrit à la fin ?, fût-ce dans un blog obscur comme celui-ci, est-ce que toi lecteur tu fais partie de « tout le monde », est-ce que moi auteur je fais partie de « tout le monde », est-ce qu’en publiant ici et est-ce qu’en écrivant ce que j’écris je m’adresse à « tout le monde » ? (question rhétorique on l’aura compris, puisque ce blog n’atteint personne, qu’il n’est pour ainsi dire pas référencé, que personne ne le connaît, donc personne ne peut le lire, sauf toi peut-être qui me lis je ne sais par quel miracle, comme ressurgi d’entre les morts), est-ce qu’un seul auteur au monde et dans tous les temps a vraiment pu s’adresser à « tout le monde » ? Encore faudrait-il que dans ce « tout le monde », tout le monde sache lire ! On me dira que ceux qui ne savent pas lire peuvent écouter si on leur fait la lecture… C’est vrai. C’est d’ailleurs comme ça que la poésie, la littérature, les récits, les contes, les mythes, ont commencé : par la parole. Et non par la « publication » de l’écrit. La Bible, plus grand best-seller de tous les temps, est d’ailleurs appelée « La Parole de D.ieu », elle est essentiellement une « retranscription » de la Parole divine, et elle s’adresse vraiment (c’est en tout cas la « mission » qu’elle s’est donnée) à tout le monde… du moins était-ce son ambition, son idéal. Adressée aux « lettrés » comme aux analphabètes, auditoire vaste et universel pour le moins ! Et les analphabètes peuvent parfaitement recevoir cette parole, parce qu’elle est aussi faite pour être lue à haute voix, diffusée aux foules comme aux cœurs esseulés, très fort ! Mais in fine, tout « plus grand best-seller de tous les temps » qu’elle soit, s’est-elle adressée, s’adresse-t-elle encore à « tout le monde » ? Certes, la Bible est plus « lue » que mes obscurs gribouillis (c’est pas difficile me dira-t-on encore), mais elle n’a pas, tout « monument universel » qu’elle soit, atteint tout le monde…
La littérature dite « écrite », elle, n’est finalement peut-être qu’une littérature de « seconde main », détachée de l’origine orale de la littérature, bien que ses plus grandes œuvres n’auraient peut-être jamais pu être « créées » directement par la parole, comme au temps des origines. La littérature est peut-être devenue plus « complexe » en passant par l’écrit, en se conformant et en s’ « habituant » aux lois de l’écriture.
On me dira aussi que je ne publie pas « au bon endroit ». Et moi je dis que ceux qui ont inventé Twitter sont des foutus génies. Des croque-morts ou des fossoyeurs de génie. Ils ont compris que la civilisation littéraire était morte, mais que l’ « écrit » ne l’était pas. 140 « signes » max depuis les origines et pendant longtemps, 280 désormais, ils ont compris que pour être lu, dans ce monde qui ne veut plus lire (en particulier les œuvres un peu « volumineuses » et complexes), ben faut faire court. Et simple. C’est aussi con, et c’est aussi génial, et c’est aussi cynique que ça, l’invention de Twitter. Les inventeurs ont parfaitement pressenti et traduit dans leur invention cet indice de déclin de civilisation : faire court, simple, direct, si tu veux avoir une chance d’être lu. Et encore, tout le monde n’a pas cette « chance ». Même court et simple, tu peux rester parfaitement obscur. Alors moi, ici, et avec ce que j’écris…